Fauve

Dans cent ans, je serai sage. Ma toison rousse aura les reflets de la neige.

Voici déjà bien des lunes que chaque nuit je te rejoins. Je sais que tu me guettes. Mes bras t’enlacent pour quelques heures de volupté. Chaque nuit je te prends et je me donne à toi jusqu’au point du jour, libre et souveraine. Chaque soupir nourrit notre légende.

Ensuite, j’embrasse doucement tous nos enfants avant qu’ils ne s’éveillent et je m’évanouis dans l’herbe fraîche et la liqueur de l’aube.

Tout le jour, je cabriole, je cours dans les bois, je chasse et j’accomplis mille tâches minuscules avec tout le sérieux du monde. Puis je dors le nez contre les scarabées, j’observe le lent ballet des araignées. J’égrène le temps dans la paume verte de la forêt.

Parfois une rencontre. Un jeune hère s’élance, petits bois de velours droit devant. Nos regards se sont accrochés, sa prunelle noire m’interroge. Seconde suspendue dans le frémissement feuillu. Déjà, il bondit et contourne mon antre. 

Je croque des oiseaux, je vole des mûres et je joue des tours à ceux qui s’aventurent un peu trop loin dans la futaie. Le jus perle en gouttes rouges. Goût de métal sur la langue. Éclat de silex. Et la canopée s’embrase, dans une folle illusion de puissance. La sève bat dans mes tempes.

Dans cent ans, il sera encore bien temps, de gambader dans les fougères, de badiner comme des enfants. Je reprendrai mon corps de femme une dernière fois. Je te mordrai à la nuque, tendrement, pour rire. Puis je sauterai à pieds joints dans l’étang.  

Le matin froid fera monter la brume dans les premiers rais de soleil. L’eau laissera tinter ses écus. 

Et dans mes yeux grands ouverts passeront les âmes de tous les disparus… Disparus il y a un instant, une heure ou une éternité. Je ne sais plus. Je les ai tous aimés avec passion. Ils me reviennent comme autant d’âmes sœurs, traversant les siècles.  

Par la trouée, je vois les dieux capricieux qui soufflent leur vengeance dans mon petit crâne d’ivoire. Mais dans cet espace infinitésimal, cette fracture du temps où les territoires s’effacent, tout l’univers se concentre et abolit nos peurs.

 

VAM

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AUBERTIN

il y a 3 ans

La nature dans cet entre deux que nous vivons tous concomitement est notre refuge sacré.
Nul besoin de nous connaître. Nous nous reconnaissons simplement.

Des mots pour adoucir les maux qui nous obsédent, c’est de ça que nous avons besoin le plus aujourd’hui plus que jamais.

Amicalement,

Yolaine Aubertin

VAM

il y a 3 ans

Grand merci pour ce joli commentaire plein de douceur, Yolaine. Amitiés

nina urlichs

il y a 3 ans

trés trés beau, le texte viens de ta plume? magnifique et la photo aussi. Merci pour le partage

VAM

il y a 3 ans

Merci beaucoup Nina ! Le texte est de ma plume en effet. Peut-être un petit recueil illustré un jour…
A bientôt j’espère

Philippe Barrier

il y a 3 ans

On est plutôt sans voix… Les images surgissent des mots, de leur intacte poésie. J’aimerais les mettre en cohérence avec la performance (et ses traces) que je n’ai hélas pas vues. Continue! Philippe

VAM

il y a 3 ans

Merci infiniment Philippe ! Même si je m’éloigne un peu de la performance de l’été dernier dans ce texte, tu as raison d’y voir un lien, bien sûr. j’espère avoir l’occasion de vous faire partager ce travail bientôt, dès que la situation sanitaire sera sous contrôle et les horizons plus dégagés !

VALLET Patricia

il y a 2 ans

Chère VAM , j’admire infiniment votre travail et j’adore vos textes si sensibles, sensuels, féminins, délicats, bref tout ce que j’aime!
Bonne vie à vous
patricia Vallet

VAM

il y a 2 ans

Merci beaucoup pour votre commentaire, chère Patricia ! Heureuse que mon travail et mes mots vous touchent… Au plaisir

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