Il y a un an ou deux, au cours d’un dîner chez des amis, j’avais rencontré un homme passionnant, philosophe, qui avait travaillé plusieurs mois dans le célèbre service de reconstruction faciale du Professeur Bernard Devauchelle au CHU d’Amiens. Je ne suis pas philosophe, je ne prétends pas avoir eu une conversation de haute volée avec cette personne, mais le lien entre son questionnement et mon travail était si évident que nous avons eu un échange qui m’a marquée.
Cela pourrait se résumer ainsi : sommes-nous ce que nous voyons dans notre miroir ?
Être et paraître
Les patients qu’il avait rencontrés au CHU, défigurés par suite de maladie ou d’accident, bénéficiaient de greffes de parties du visage d’un donneur, certes anonyme, mais pourtant bien présent dans leur nouvelle image.
La question était donc : ces hommes et femmes qui avaient perdu leur propre visage, perdaient-ils du même coup leur identité ? A priori, vous allez me répondre que non, nous sommes ce que nous sommes, indépendamment de notre image. Mais en êtes-vous bien sûrs ?
Ce que nous renvoie le miroir fait autant partie de nous que notre esprit. J’en suis absolument convaincue. J’ai d’ailleurs toujours été obsédée par cette question : suis-je à l’image de mon image ? Le dedans et le dehors se rejoignent-ils ? Car il y a, à mon sens, une relation tout à fait étrange entre notre être et notre paraître.
Le stade du miroir est considéré comme fondamental dans le développement du jeune enfant. Le jour où il se reconnaît, il se détache définitivement des autres, de sa mère, se définissant comme un être distinct et unique. S’en suit généralement des heures à se dévisager avec un mélange égal d’étonnement, de malaise et de plaisir.
Même adulte, il m’arrive encore parfois de me fixer dans le miroir sans être sûre de reconnaître vraiment cette autre qui est moi. Je ne suis pas schizophrène, rassurez-vous ! Mais je ne suis jamais certaine de voir ce que les autres voient (c’est un peu comme se regarder sur une photo ou s’entendre sur une vidéo, le décalage avec notre perception intime est toujours troublant).
La trahison du miroir
Bien des gens ont l’impression d’être trahis par leur miroir. Ce qu’ils y voient ne leur correspond pas. Je ne parle pas de la simple “tyrannie” des codes esthétiques ; nos traits ne sont jamais à la hauteur des idéaux de beauté prônés dans les magazines (je suis d’ailleurs curieuse de lire le roman de Clarisse Gorokhoff, « Casse-gueule »). Non, sans forcément parler de beauté plastique, je pense à ces traits qui ne s’accordent pas avec ce que nous sommes. Un nez trop busqué qui donne un profil de rapace à une jeune colombe, des petits yeux enfoncés qui privent d’éclat une personne qui pourtant rayonne par son esprit, mais aussi des joues trop rondes qui offre un air jovial à un parfait emmerdeur ! Parfois, la chirurgie esthétique remplit là sa vraie mission : accorder l’intérieur et l’extérieur.
Je ne peux manquer non plus d’évoquer la dysmorphophobie où la perception de notre corps tout entier est faussée, comme au travers d’un miroir déformant de fête foraine (phénomène souvent décrit chez les personnes souffrant d’anorexie). Sujet sur lequel je travaille également.
Certains se regardent peu, ne s’aiment pas. D’autres se regardent beaucoup, s’aiment-ils pour autant ? L’image dans notre miroir n’en reste pas moins un animal sauvage que nous peinons à apprivoiser.
Notre visage devrait, à l’instar du « Portrait de Dorian Gray » imaginé par Oscar Wilde, refléter notre âme. Lisse lorsque nous sommes purs et bons, altéré lorsque nous traversons les chagrins, enlaidi lorsque nous sommes cupides et égoïstes… Mais non, même les pires salauds peuvent se cacher derrière une gueule d’ange. La série « Ma mauvaise Âme » joue avec cette idée de diabolisation intérieure qui pourrait faire surface à tout moment. A moins qu’il ne s’agisse juste de transcender notre peur dans une ultime mutation chamanique…
VAM