Le plaisir tient une place centrale dans notre société. Tout aujourd’hui doit être source de plaisir…
Plaisir au travail, plaisir dans les activités, plaisir dans le couple. Une recherche omniprésente, impérieuse.
Il y a des jours qui ne font pas plaisir et c’est peut-être très bien ainsi. Une vie de « jouissance » continue serait probablement terriblement ennuyeuse, car ce sont aussi la frustration, l'attente ou les épreuves à surmonter qui rendent le plaisir enfin conquis si délicieux. Il est bien connu que le désir est souvent plus savoureux que le plaisir lui-même.
Dans la vie intime, le plaisir est devenu un droit, si ce n’est une obligation. Je ne peux que me réjouir d’une évolution de société qui accorde aujourd’hui une place plus légitime au plaisir féminin et rend enfin hommage à ce tout petit mais puissant organe qu’est le clitoris... Pour autant, cette injonction au plaisir peut aussi devenir une source de détresse tant les codes de l'érotisme et de la pornographie (si accessible et intégrée, dès le plus jeune âge, via les écrans), imposent des modes relationnels, des pratiques ou des performances d'où le véritable plaisir et la liberté sont parfois totalement absents. Mais ceci est un autre débat car je souhaite plutôt évoquer ici l’interdiction du plaisir.
Tu iras en enfer
Ce qui me rend songeuse, surtout, c'est l’hypocrisie des comportements. On prône le plaisir à tous les étages, mais dans le même temps, on continue de stigmatiser celles qui prendraient « trop » de plaisir.
Pendant des siècles, éduquer les jeunes filles consistait à leur apprendre à maîtriser les tâches ménagères… et serrer les cuisses. Virginité au mariage, fidélité… Cela pourrait se comprendre : calmer les ardeurs avait pour objectif principal d’éviter la naissance de bâtards. Quant à la masturbation, elle était au mieux une pratique qui nous rendrait débile, au pire un péché qui nous mènerait en enfer.
Mais depuis, nous sommes censées être bien plus libres ! Or, le regard de la société n’a pas tant évolué. Je remarque souvent que la recherche du plaisir reste assez mal vue chez les femmes, alors qu’on est toujours indulgent avec un homme volage. Les « salopes », « chaudasses » et autres noms charmants fleurissent vite sur les lèvres. De sorte que certaines femmes aujourd’hui peinent encore à vivre sereinement leur plaisir tant elle ont intégré cet interdit. Peur de ne pas être une femme bien ? Ou domination masculine bien plus ancrée qu'il n'y paraît ?
Défense de jouir
Au-delà de la simple désapprobation morale, contrôler le plaisir reste malheureusement une réalité violente dans une bonne partie du monde.
Les pratiques de l’excision et de l’infibulation continuent de perdurer et la situation est totalement révoltante. La prévention progresse lentement face à l’enracinement de ces pratiques ancestrales.
Le constat est accablant : 200 millions de femmes dans le monde ont subi des mutilations génitales (dont 500 000 en Europe et 60 000 en France). Une femme sur trois en Afrique. Et 3 millions de filles risquent de subir le même sort chaque année si l'on ne lutte pas davantage (source https://www.excisionparlonsen.org). Qu’elles soit pratiquées au sein de la famille, qui souvent croit bien faire, mais aussi par des professionnels de santé, m’est d'autant plus insoutenable.
La série des Vierges Noires m’était venue dans un accès de colère face à ce triste bilan… Je voulais mettre ces femmes mutilées en regard avec les femmes libres de leur corps et de leur plaisir. Parler de la souffrance et du désir. Dans cette série, la couture au fil rouge ne répare pas, elle enferme, elle dégrade, elle interdit. Mais elle dit aussi notre éternel besoin de volupté. C’était l’un de mes tout premiers manifestes sur la condition des femmes et j’y suis fort attachée.
Cachez ce sein…
Rappelons également que, jusqu’au milieu du XXè siècle, l’excision a aussi été pratiquée en Occident pour soigner l’hystérie, la nymphomanie, la neurasthénie… Déconcertant quand on pense qu’à la même période, des médecins masturbaient eux-mêmes leurs patientes (parfois avec des instruments fabriqués spécialement à cet effet !) afin de soigner les mêmes maux. D’une façon ou d’une autre, la jouissance féminine et le traitement de ses « excès » laissait le corps médical perplexe. Les théories freudiennes n’ont pas été non plus sans causer des dégâts dans le domaine.
En cela, mai 68 marquait une profonde révolution. Les années 70 nous ont fait basculer dans un nouveau paradigme. Des égarements bien sûr, comme à chaque révolution, mais la levée des tabous. Une avancée de taille !
Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Une situation totalement contradictoire : sexualité 2.0 débridée, « Mom Porn », « Sugar Dady »… et un puritanisme qui revient au grand galop… (Je citerais avec un grincement de dents ma censure quasi systématique sur Facebook, depuis le début de l’année, pour « pornographie » !). L’hypocrisie est à son comble.
Une société où il est peut-être bien plus compliqué de se construire que pour nos ancêtres.
VAM