En décembre dernier, j’étais invitée à participer à l’exposition du photographe Xavier Gavaud, « Paysages de l’infertile ». C’est avec beaucoup de plaisir que j’ai ainsi pu à nouveau présenter quelques œuvres de ma série « Motherhood? » dont j’avais commencé la création en début d’année. Je suis également intervenue lors du cycle de conférences-débats, ce qui m’a donné l’occasion de me replonger dans ce thème passionnant de notre lien à la maternité.
Evoquer la douleur de ne pouvoir « donner la vie », selon cette expression au combien lourde à assumer, ne pouvait pour moi que résonner avec la difficulté de ne pas vouloir donner la vie, tout autant que la difficulté de la donner tout court !
Le grand cycle de l’univers
Depuis les origines, devenir mère est la règle évidente de la perpétuation de l’espèce. Nous sommes génétiquement programmé(e)s pour nous reproduire, priorité inconsciente de notre cerveau reptilien. Des millions de femmes rejoignent ainsi chaque année le grand cycle de l’univers avec naturel et bonheur.
Mon interrogation se porte sur toutes celles qui ne ressentent pas cette évidence. Une fois encore, c’est bien l’ambivalence de nos sentiments qui me questionne et a inspiré ce travail, mêlant sculpture et photographie : « Motherhood? »… (Tout est dans le point d’interrogation !). Les sculptures, d’inspiration végétales et/ou animales, mettent en scène la nidification, le jaillissement, aussi bien que la perte ou la dévoration. Une coque vide ou pleine… Des sensations imprécises parce que contradictoires.
Parfois, Mère Nature faillit et nous donne un corps qui ne peut pas enfanter, ou bien un esprit rebelle qui se sent mal à l’aise avec l’idée de porter un autre en soi. Quand tant de femmes ressentent la plénitude de la maternité, d’autres sont en proie à un rejet viscéral. Alors, le grand cycle de l’univers vacille…
Etre mère ou se taire
Ce serait plutôt simple d’écouter son cœur et son corps, si le regard de la société ne venait altérer notre perception et nous laisser entendre que la maternité est la seule vraie voie de la complétude.
La maternité donne effectivement accès à un monde où les femmes ont un pouvoir absolu. Même si le rôle des pères a bien évolué, la sphère de la famille reste essentiellement dévolue à la mère et c’est à elles que reviennent responsabilités et décisions. C’est peut-être le seul domaine où l’on ne remet pas en question les connaissances et les compétences de ces femmes (c’est aussi très pratique de les maintenir dans cette sphère domestique pour les éloigner du domaine public !). C’est sans doute aussi pour cela que beaucoup de femmes restent très attachées à ce rôle de mère et, bien que se plaignant souvent de n’être pas assez aidées, laissent finalement peu de latitude aux hommes.
(Je parle ici de situation globale, statistique, au niveau national et international. Nous connaissons tous des mamans et des papas formidables qui forment des couples égalitaires et des super-teams parentales, c’est entendu !)
Celles qui ne deviennent pas mères sont, par défaut, supposées ne pas pouvoir enfanter, tant il semble inimaginable que ce soit un choix. On les plaint, et c’est bien sûr une immense souffrance que de ne pas avoir d’enfant lorsqu’on le souhaite profondément.
Celles qui l’ont décidé, quelles qu’en soient les raisons, sont généralement incomprises, voire méprisées, soupçonnées d’égoïsme ou d’immaturité dans le meilleur des cas. Les mots sont souvent violents, le jugement et la pression sociale quasi-permanents.
Ne pas vouloir suivre le chemin tout tracé de la maternité est sans doute la rébellion la plus absolue !
Fin de la retransmission
Si je considère la place de la femme dans l’histoire familiale, tout comme dans l’histoire du monde, il me semble qu’elle ne peut échapper à la question de la maternité qui reste un pacte sociétal premier. Que devient le monde si nous ne perpétuons plus l’espèce ?!
Déjà, depuis les années 70, la contraception, la légalisation de l’avortement, apportent une profonde modification au statut des femmes : le droit de disposer de son corps, jusqu’à refuser de jouer le rôle attendu de mère, c’est déjà une révolution en soit.
Ne pas devenir parent, c’est bien souvent aux yeux du monde ne jamais devenir vraiment adulte, rester éternellement l’enfant de ses parents.
Pourtant, même avec des enfants, on peut ne pas être mère. L’attachement n’est pas toujours immédiat et, parfois, ne se fait tout simplement pas ou terriblement mal. Dans « L’amour en plus », Elisabeth Badinter analyse, au travers des époques, l’amour maternel, supposé « instinctif », qu’elle explique être finalement largement conditionné par les comportements sociaux qui ont jalonné notre société. N’oublions pas que pendant bien longtemps, les bébés étais mis en nourrice dès la naissance et pour plusieurs années (on ne s’attachait pas à un enfant avant qu’il ait de bonnes chances de survie !). Alors cessons un peu de glorifier ce fameux instinct maternel qui n’est pas si universel.
Pour les femmes qui assument d’en être dépourvue, choisir de ne pas avoir d’enfant implique de rompre le lien familial (ne pas perpétuer la lignée, ne pas transmettre le nom, l’héritage…) et de se mettre en opposition brutale avec un entourage qui peine à comprendre.
C’est oublier qu’il peut être très légitime de ne pas vouloir transmettre. Transmettre peut être un cadeau merveilleux ou un épouvantable fardeau. Parce que certains parents, certaines familles sont épouvantables. Il est parfois bien plus sain et raisonnable d’y renoncer. Au vu du poids de l’histoire intergénérationnelle, on peut parfaitement expliquer l’envie de rompre la chaîne. C’est presque une responsabilité morale de ne pas faire porter ce poids à un enfant.
Le divin enfant ?
Explorer toutes les facettes du sujet, en tentant de déjouer les préjugés, ne saurait être traité en un seul billet ! Je reviendrai inévitablement sur certains aspects qui me sont chers dans de prochains articles.
A l’instar de la période de la Nativité et des Rois qui s’achève, d’innombrables familles se réuniront encore autour de l’enfant nouveau-né dans le bonheur de faire rayonner notre humanité. Certaines mères auront le cœur serré devant l’immense responsabilité qui leur incombe désormais, pendant que d’autres les regarderont de loin, sans envie et sans regrets. D’autres encore pleureront au-dessus d’un berceau vide…
Quels que soient vos choix ou votre histoire, soyez fières de tout ce que vous accomplissez au quotidien. Vous êtes des millions à œuvrer à votre façon, que ce soit pour un enfant, une famille, des amis, des collègues, des inconnus, des associations… N’écoutez rien de ce que l’on vous impose. Il y a mille manières de donner la vie.
VAM