Beaux-Arts Magazine – Octobre 2023

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L'Œil de la Photographie – Septembre 2023

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Courrier Picard – Septembre 2023

Courrier-Picard

Beaux-Arts Magazine – Février 2022

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Textes

Philosophe, auteur, réalisateur
Catalogue de l'exposition "Rien n'est gratuit / Tout doit disparaître"
Mars 2022

 

La rencontre avec les œuvres puissantes de VAM et NikiNeuts, qui dialoguent entre elles dans cette exposition, bien justement intitulée « Rien n’est gratuit / Tout doit disparaître », m’a immédiatement renvoyé à la réflexion philosophique qui me nourrit depuis déjà longtemps.

Celle-ci trouve sa source dans l’œuvre de Gilbert Simondon, à l’importance souterraine fondamentale dans la pensée contemporaine. C’est le philosophe de l’individuation. Celui pour qui « l’individu n’est pas le dernier mot de l’être ». Il nous permet de comprendre que « nous » sommes traversés, et parfois transpercés, par ce qui est à la fois avant nous (comme pré-individuel) et qui en même temps nous prolonge dans le collectif sans lequel nous n’existons pas comme sujet, comme le corail n’existe pas sans le milieu marin et végétal qui à la fois l’accueille et le constitue : le trans-individuel.

Nous ne coïncidons pas avec nous-même, nous dit Simondon, comme nous le font sentir avec angoisse et délice VAM et NikiNeuts. Ce qui est la même chose, car la sensation et l’émotion sont le cœur-même de ce qu’on nomme, faute de mieux, l’individu, ce nœud de relations, nouées et dénouées, faites et défaites sur une corde tendue qui nous parcourt comme nous la parcourons, dans la continuité d’un cheminement qui nous dépasse et nous unit.

Et pas seulement de génération en génération, de chair à chair transpercées, mais de matière jugée inerte, à chaire vivante et chaire sensible, éprouvante, émouvante et pensante. Rien n’est gratuit car tout est pourvu de sens, ne serait-ce que par son mouvement vers la continuité. Tout doit disparaître car il nous faut cesser, un jour, d’être ce que nous croyons « nous-même » pour que continue l’individuation, que se perpétue la perpétuation. Et que votre art en témoigne, est magnifique.

Poétesse, essayiste et autrice
Catalogue de l'exposition "Ad vitam aeternam"
Décembre 2016

 

Travail sur le désir et les clichés, l’univers plastique de Vam recourt à une multiplicité de techniques (photographie avec couture, peinture numérique, vidéo…) et de matières (papier, aluminium, fil de soie…) pour questionner le regard sur le féminin. Quoi de plus présent que le nu féminin dans l’art, les poses, les formes, la chair de ce corps objet de désir à la fois adulé et honni ? C’est sur lui que se re/tourne la re/présentation, vers des images de la femme dans la vision de l’autre (celle d’une longue histoire dominée par un regard qui conjugue désir et crainte, mépris et fascination) et les interroge.

Le questionnement est double : il est celui d’une identité qui se cherche, notamment dans la vidéo Wash my Sins away et dans les séries J’apprends ma géographie,  Peau douce, et celui d’une représentation de cette identité longtemps et encore souvent réduite à des stéréotypes, la série Les vierges rouges, par exemple, apposant explicitement sur le corps comme sur un produit les qualificatifs réducteurs, qui l’estampillent (hystérique, écervelée, sorcière, mijaurée, frivole, vénale…). Il y a  à la fois du dévoilement de l’intime et de la dénonciation dans ce travail, mais sur le mode de l’humour et d’une ironie légère, qui, dans une violence suggérée,  inscrit aussi la marque cicatricielle à même la peau comme dans la série Corpus.

La plasticienne joue avec les représentations de la femme qu’elle est et avec l’histoire de la représentation de la femme, réunissant les deux en un même geste, qui use de la citation et de l’écart. C’est cet écart qui titille le regard : là c’est la suture des chairs au fil de soie, qui érafle leur représentation intentionnellement académique, cicatrice à la fois sur lui et sur elle, dans la chair et la matérialité de l’image. Ailleurs c’est la couleur rouge en gouttes ou en nappes faisant couler un sang synonyme de vie, de passion, mais aussi des menstrues et de l’impureté à laquelle leur mystère inquiétant les a confinées tandis que sur la vidéo Wash my Sins away il remonte sur le blanc virginal de la robe. C’est le noir qui efface les visages de femmes souvent en mouvement de la série Peau douce. Vers quoi cet élancement? Fuite impossible hors de leur représentation et de leur assignation identitaire « ad vitam aeternam »? Élan vital, qui nous incarne chacune et chacun perdant la tête, égaré-e-s que nous sommes dans nos fantasmes, nos illusions, notre quête de nous-même, eux aussi « ad vitam aeternam » renaissants ? Les deux ensemble.

Ce corps de femme, que Vam met en scène, dit « des » femmes à travers cette abstraction de « la » femme qu’incarne la référence à la pose, mais aussi du corps. De la peau, couturée ou exaltée quand, on se souvient de Valéry, ce qu’on a de plus profond c’est sa peau. Que sommes-nous ? Des corps emportés par le temps dans le tourbillon de nos émotions et de nos histoires ? Dans le mouvement et les vibrations qui les traversent?

L’image ne s’ex-plique, ne s’extrait pas de ses plis et contours à travers les mots qu’elle suscite. Elle se donne à voir. Globale. Non comme une donnée du réel, mais comme son questionnement, son affrontement même. Qu’il se fasse ludique, qu’on s’y débatte en s’y ébattant, qu’on s’y écorche et qu’on y folâtre en même temps, ne le rend pas moins pressant. Seulement plus léger, comme apprivoisé par la jolité de la représentation du féminin, mais non moins « ad vitam aeternam » toujours recommencé.

Artiste et auteur
Magazine Corridor Elphant
Juin 2020

 

Corpus

Certains artistes se distinguent par un style, une esthétique qu’on retrouve dans à peu près toutes leurs œuvres. D’autres se reconnaissent à leurs thèmes qui reviennent sans cesse et constituent le soubassement d’un imaginaire particulier. VAM appartient plutôt à cette seconde catégorie, même si c’est un thème unique qui guide ses réalisations artistiques : l’identité féminine.

Identité est un mot singulier qui recouvre une pluralité de significations et d’interprétations à peu près inépuisable. La femme n’est pas ceci, la femme n’est pas cela, elle est ceci et cela, et cela d’autre encore, en même temps, alternativement, successivement, exclusivement. Objet d’étude et sujet de réflexion dont il est vain d’espérer faire le tour. Une œuvre ne saurait y suffire, en revanche un œuvre peut commencer à y parvenir. Un œuvre, ou un corpus d’œuvres.

Corpus est justement le titre d’une des séries phares de VAM. Un titre ambigu, qui en français signifie recueil ou ensemble de pièces, de documents, et qui en latin est le mot qui a donné corps dans notre langue. Alors : corps ou ensemble ? Ou ensemble de corps ? Certainement un peu des deux, tant cette série qui met en scène le corps féminin constitue également un moment charnière dans la carrière de l’artiste, une sorte d’agrégat de plusieurs explorations précédentes qui ouvre la voie à de nouvelles expérimentations. On y retrouve le rouge bien sûr, le rouge du sang, le rouge du désir, le rouge de la révolte. Un rouge qui donne sa couleur à la série comme à d’autres avant elle, presque une marque de fabrique. Le corps est évidemment au cœur des compositions de Corpus, un corps démonstratif, triomphant parfois, dans des postures dynamiques ou statiques, solennelles ou impudiques. Un corps et rien qu’un corps, miroir lisse et vierge des fantasmes et des blessures, sans visage identifiable qui détournerait l’attention du regardeur. On retrouve enfin la thématique de la déchirure et de la suture, sous la forme de fissures et d’agrafes virtuelles en lieu et place du fil de soie rouge qui recousait des pans photographiques entre eux dans certaines œuvres précédentes.

Corpus est aussi pour VAM le point de départ d’un nouveau rapport à la photographie. Cette dernière devient matériau pictural, élément de composition, et perd son autonomie première pour s’inscrire dans une démarche plasticienne plus vaste. La photographie devient trace, une trace certes structurante puisque la composition s’appuie sur elle pour se déployer, mais une trace qu’on pourrait confondre avec du dessin ou de la gravure. La main de l’artiste tient un pinceau numérique qui place l’œuvre dans un authentique geste pictural tandis que les collages, notamment ceux qui dissimulent les visages, s’apparentent à ceux de la veine surréaliste, créant de curieux monstres qui captivent le regard. En donnant un titre de personnage archétypal à chacune des pièces de la série (La Veuve, La Prêtresse, La Guerrière, etc.), VAM achève de nous livrer sa mythologie personnelle à travers des figures fortes qui sont autant de facettes de l’identité féminine, objet de son insatiable exploration.