Voici quelques semaines, une de nos amies nous quittait après des mois de combat contre la maladie. Elle laissait une famille en pleurs, bien que soulagée de ne plus la voir souffrir…
Entrer dans sa maison devint soudain douloureux, chaque objet témoignant à la fois de sa présence et de son absence. Jamais je n’avais pensé éprouver un jour, de façon aussi tragique et littérale, la série que j’avais composée il y a quelques années, « Une Femme disparaît ».
Petite fugue en vie mineure
Pourtant, en 2015, lorsque je m’étais livrée au jeu photographique de la pose longue, dans le clair-obscur très scénographié d’un décor bourgeois, j’avais plutôt en tête une allégorie de la « disparition » au quotidien, le sentiment flou que nous ne sommes pas toujours incarnés, que dans certaines situations ou moments de vie, nous ne sommes plus vraiment présents.
Je ne parle pas de ces petits moments d’absence où nos pensées s’échappent et où nous revenons dans un « qu’est-ce que je disais ? ». Je pense à cet état de présence physique, mécanique, soumise au rythme d’une vie si remplie qu’elle en devient vide. La disparition opère peu à peu, quand tout devient sans surprise et que le sens des choses échappe, quand l’autre ne vous voit plus, quand l’envie d’ailleurs est si forte qu’elle nous soustrait à notre réalité ou quand certains souvenirs sont si prégnants que notre fantôme traîne encore dans d’autres lieux de mémoire.
Ravissement
Je pense aussi à toutes celles qui mènent une existence trop paisible où rien ne bruisse. Combien de femmes élevées pour acquiescer, sourire, servir… ? Combien de femmes enfermées dans une vie rangée, calme et effacée, parce qu’on ne leur a pas appris la liberté, le combat, le désir ? Parce qu’on leur a répété trop souvent « sois sage », « ne fais pas de bruit », « ne réponds pas quand je te parle », « baisse les yeux », « obéis »…
Toute une vie domestiquée. Une cage dorée pour les tenir tranquilles… même porte ouverte. Nul besoin d’un tyran pour rester enfermée. La société, l’éducation, l’entourage ont construit un à un les barreaux de cette cage. Mais pour peu qu’un prédateur s’invite dans le fragile château de cartes de ces femmes trop bien (mal) élevées, la quiétude bascule sans bruit dans la souffrance ordinaire, la manipulation insidieuse, la banalité de l’humiliation quotidienne.
C’est toute une existence qui s’éteint bientôt au creux des bras de ce ravisseur.
Hommage aux ectoplasmes
Pour quelques âmes éclatantes qui savent briller en société, pour quelques chanceux qui ne doutent pas, bien plantés sur terre et sûrs de leurs choix, tant de femmes et d’hommes qui se taisent et fuient l’inavouable platitude de leur destin, qui désertent leur salon comme ils désertent leur cœur…
Des vies qui se dissolvent dans l’ennui, l’immuable, l’immobile, et m’inspirent une infinie tendresse. Il n’est pas de bon ton de le dire dans une mouvance positiviste où la culture de la réussite et du bien-être à tout prix fait rage. Peu m’importe.
A tous ces fantômes de jour dont les corps s’évanouissent au gré de pensées plus dissipées que leurs actes, je voudrais rendre hommage en capturant leurs errances. Garder trace de leur passage, de leurs émotions, de leurs rêves et de leurs caresses perdues, reste pour moi le plus grand des défis.
VAM